Paris–Maroc… sans avion, et en famille ? C’est ce que fait chaque été la journaliste, autrice et enseignante Nassira El Moaddem. Dans le 55ᵉ épisode de Je t’offre un rail ? (le podcast qui te rend accro au train), Nassira El Moaddem nous raconte comment elle a remplacé l’avion par le train pour rejoindre le Maroc chaque été avec son mari et leurs trois enfants. Une démarche qu’elle relate dans son livre Et si on rentrait au bled en train ? (Voyages Gallimard), pensé comme un récit mais aussi comme un guide pratique.
Jusqu’en 2022, Nassira n’avait jamais envisagé de rejoindre son « autre pays » en train. « C’était dans un petit coin de ma tête, mais je n’avais jamais franchi le pas. »
La réouverture post-Covid a changé la donne : les billets d’avion pour Casablanca en été, pour deux adultes et trois enfants, dépassaient les 2 500 €, voire plus. En comparant, elle découvre que le train (trajet complet avec ferry et bus) ne coûte que 1 800 €, même en haute saison : « On a quand même un différentiel de plusieurs centaines d’euros. »
Nassira souhaite briser les habitudes : « On est très figé dans nos manières de nous déplacer… On a du mal à casser ces habitudes de voyage. »
Elle insiste sur la différence entre vols de loisirs et voyages familiaux : « Ce n’est pas des vacances en réalité. C’est… passer du temps avec les miens. » Son livre veut être une « boîte à outils » pour que d’autres puissent tenter l’expérience sans craindre la complexité.
Habituée du train depuis l’enfance, Nassira connaît bien les réseaux français, espagnols et marocains. Pour elle, le train est un « synonyme de liberté, de lâcher-prise », loin des contraintes et de l’angoisse qu’elle associe à la voiture.
Pour elle, il est crucial de ne pas culpabiliser les diasporas : « On ne doit pas nous mettre sur le même niveau… C’est presque même de la survie, parce qu’on est dans un contexte d’extrémisation de la société française. »
Et le terme « bled » qu’elle revendique dans son titre n’est pas anodin :
« Quand je parle de bled, on parle des pays du nord de l’Afrique, principalement le Maghreb… C’est aussi un retournement de l’injure : vous me dites “rentre chez toi” ? Oui, je rentre dans mon pays, et je reviens dans mon autre pays, la France, tous les ans, et c’est pas prêt de s’arrêter. »
Le voyage type commence par un TGV Paris–Barcelone en 6h30, ou bientôt un train de nuit vers la Tour-de-Carol. En Espagne, « le réseau ferroviaire est extrêmement dense » et permet de varier les étapes : Madrid, Cordoue, Malaga… avant le ferry vers le Maroc. Une fois sur place, le TGV Tanger–Casablanca en 2h30 est « juste dingue » : « C’était même inimaginable » il y a quelques années.
Premier conseil de Nassira : « Voyager léger ». Chaque adulte porte un grand sac à dos, les enfants un petit sac avec jouets et livres, et seulement 3 ou 4 tenues. L’Espagne facilite la logistique grâce à ses consignes en gare : « On dépose nos bagages et après on est tranquille. »
La préparation débute dès mars-avril pour caler les étapes, réserver, et éviter les hébergements Airbnb dans les villes touchées par le surtourisme comme Cadix.
Nassira perpétue le pique-nique du Paris–Barcelone hérité de sa mère : salade de pommes de terre, œufs au cumin, poivrons grillés. « C’est une manière de transmettre aussi cette histoire de l’immigration… qu’ils en soient fiers. »
Ses enfants, aujourd’hui âgés de 12, 9 et 5 ans, ont grandi avec ces voyages ; le plus jeune n’a jamais pris l’avion. Pour eux, c’est « l’aventure » : changements de train, visites de stades à Madrid et Barcelone, découvertes culturelles.
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Avec son livre et son témoignage, Nassira El Moaddem montre qu’il est possible de relier Paris au Maroc en train pour moins cher que l’avion, même en haute saison et avec trois enfants. Plus qu’un choix économique ou écologique, c’est pour elle un acte de transmission, de liberté et de reconquête des imaginaires de voyage. « Mon idée, c’était de dire : c’est possible de le faire. »