“Le train est beaucoup trop cher en France !” Voilà une remarque que l’on entend souvent et qui fait débat. Mais que financent réellement nos billets ? Pourquoi de tels écarts de prix avec l'avion ? Pourquoi les prix varient-ils autant d'un moment à l'autre ? Et, au fond, quels enjeux se cachent derrière nos billets ?
Pour y voir plus clair, on a voulu donner la parole à plusieurs experts du rail français dont les points de vue et intérêts divergent, à travers une série de quatre épisodes sur notre podcast Je t’offre un rail ?. Dans ce premier épisode, on te présente l’analyse d’Alexis Chailloux, responsable transport pour l’ONG Réseau Action Climat (qui fédère les associations engagées dans la lutte contre le dérèglement climatique) et membre du collectif Itinéraire Bis (qui œuvre à transformer les représentations médiatiques du voyage).
Le train repose sur une infrastructure vaste et complexe, qui nécessite des investissements colossaux pour son entretien et sa modernisation. "Plus un réseau est vieux, plus il y aura d'incidents, ou en tout cas de restriction de la circulation", nous explique Alexis Chailloux. Par exemple, il n'y a pas de train direct Saint-Étienne-Clermont en raison de la défection progressive de la ligne !
"La régénération et la modernisation du réseau sont absolument essentielles pour le fonctionnement du train français. Mais cette régénération et cette modernisation coûtent très cher." - Alexis Chailloux
Contrairement à l’aviation qui bénéficie d’aéroports amortis sur le long terme et d’un espace aérien relativement libre, le rail implique des kilomètres de voies à entretenir quotidiennement. En France, l’entretien du réseau coûte environ 5 milliards d’euros par an, partagés en grande partie entre la SNCF et l’État. Chaque kilomètre de ligne à grande vitesse (LGV) nécessite un investissement initial de 15 à 30 millions d’euros, auquel s’ajoutent des frais de maintenance pouvant atteindre 100 000 euros par an et par kilomètre. "Actuellement, il manque minimum 1,5 milliard d'euros par an pour assurer la modernisation du réseau", précise Alexis Chaillaux.
Lorsque cet entretien est négligé, les conséquences peuvent être très lourdes pour les voyageurs. Preuves en sont les trains allemands, qui enregistrent de nombreux retards en raison d'un manque d'anticipation du vieillissement du réseau, et de nombreux travaux en cours…
Sans compter les coûts liés aux infrastructures annexes : gares, signalisation, matériel roulant...
Pour mieux comprendre, il faut revenir aux différents acteurs du système ferroviaire français :
Ces différents trains circulent sur le réseau ferroviaire géré par SNCF Réseau, qui est une filiale du groupe SNCF (qui est indépendante de SNCF Voyageurs et attribue les sillons aux différentes compagnies ferroviaires, et doit même favoriser les nouveaux entrants).
La circulation et l'entretien du réseau sont financés à la fois :
- par le système de péage ferroviaire ("comme sur l'autoroute, où l'on paye pour le service qu'on emprunte en voiture", explique Alexis Chailloux),
- et en partie par l'État via l'AFIT (Agence de financement des infrastructures de transports), et les bénéfices du Groupe SNCF (par exemple, une partie des bénéfices du transporteur de marchandises Géodis sont réinjectés dans le réseau).
Contrairement aux autoroutes, où les péages sont payés directement par les automobilistes, les compagnies ferroviaires doivent donc verser d’importantes redevances pour utiliser les voies ferrées. En France, ces péages ferroviaires s’élèvent en moyenne à 9,50 € par kilomètre parcouru pour un train à grande vitesse. Ces redevances pèsent lourd dans la balance économique du ferroviaire, et elles se répercutent directement ou indirectement sur le prix des billets.
D’ailleurs, n’hésite pas à signer la pétition lancée par notre association (Les Aventuriers d’HOURRAIL !) pour demander la baisse des péages ferroviaires !
Tu as sans doute déjà remarqué que plus tu t’y prends tard pour réserver ton billet, plus le prix a tendance à grimper. D’ailleurs, on te rappelle souvent cette règle d’or dans notre newsletter : pour payer moins cher, le plus tôt sera le mieux.
Les billets de train ne sont pas fixés à un tarif unique. Cette stratégie du “yield management”, empruntée à l’aérien, consiste à ajuster le prix en temps réel en fonction de la demande grâce à des algorithmes de tarification dynamique. Plus la demande est forte, plus les prix augmentent, ce qui pénalise les voyageurs de dernière minute.
Par exemple, un Paris-Lyon en TGV peut coûter 30 € si tu t’y prends des semaines à l’avance, et dépasser 150 € en période de forte affluence ou si tu réserves la veille. Pour de nombreux usagers, cette variabilité renforce un sentiment d’injustice, surtout quand on n’a pas la flexibilité de planifier longtemps à l’avance.
Un autre facteur expliquant le coût élevé du train réside dans la fiscalité qui lui est appliquée. En France, la TVA sur les billets de train est fixée à 10 %, alors que le secteur aérien bénéficie, lui, de deux exonérations fiscales majeures : aucune taxe sur le kérosène, et une TVA à 0% sur les vols internationaux (10% sur les vols internes) ! “Cette asymétrie favorise indirectement l’avion au détriment du train, un non-sens écologique et économique”, déplore Alexis Chailloux.
"En faisant Strasbourg-Berlin en avion, on paye 0 % de TVA. Alors qu'en faisant Strasbourg-Berlin en train, on paye 10 % du prix du billet en TVA. Ça n'a aucun sens !"
Depuis mars 2025, la taxe de solidarité sur les billets d’avion en France (aussi appelée "taxe Chirac") a augmenté. En pratique, son montant, qui était dérisoire, va augmenter légèrement (passant de 2,63 € à 7,40 € pour un vol européen).
Cette augmentation devrait rapporter 800 à 850 millions d’euros à l'État. Mais comme le souligne Alexis Cdhailloux dans un post Linkedin, cela reste encore très loin de ce que rapporterait une taxe sur le kérosène, puisque le secteur aérien bénéficie d’un avantage fiscal considérable (zéro taxe sur le kérosène)… “Pourquoi le kérosène échapperait à une taxation et l’essence non ? Pourquoi partir en vacances à l’autre bout du monde serait exonéré de TVA alors que même les produits de première nécessité y sont éligibles (à taux réduit) ?” regrette-t-il dans son post.
Selon lui, un rééquilibrage des taxes permettrait donc de rendre le train plus compétitif sans nécessairement augmenter les subventions publiques.
"On a tendance à penser, dans tous les secteurs, que la libéralisation et l'ouverture a la concurrence vont être plus efficientes que le service public", remarque Alexis Chailloux. Et l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché ferroviaire français, comme Trenitalia ou Renfe, laisse bel et bien entrevoir une possible baisse des prix due à la concurrence : "La concurrence a eu des effets positifs sur certaines liaisons, comme la liaison Paris-Lyon où il y a eu une augmentation de l'offre avec des compagnies comme Trenitalia, et donc une légère baisse du prix du billet moyen."
Mais les revers de médaille sont nombreux : "Ça a aussi eu plein d'effets secondaires négatifs, comme une guerre commerciale entre les entreprises historiques. Par exemple, l'arrivée d'un OUIGO (français) sur la ligne espagnole Madrid-Barcelone a eu des conséquences sur la coopération avec l'Espagne (qui demande désormais des compétences d'espagnol aux conducteurs français sur certains sillons)."
Dans certains pays comme l’Italie, où plusieurs compagnies opèrent déjà sur les lignes à grande vitesse, les prix ont effectivement baissé sur les trajets concurrencés. Le gouvernement ayan pris en charge une partie des péages, le coût pour les entreprises ferroviaires était plus bas, ce qui a stimulé les offres (et a permis à l'État de compenser son "investissement").
Mais citons également l’exemple de la privatisation (totale) du rail britannique, dont on te parle en détail ici, qui, loin de faire baisser les prix, a même conduit à des tarifs exorbitants et s’est soldée par un retour en arrière !
Pour aller plus loin : les propositions des Aventuriers d’HOURRAIL ! (l’association des passionnés de voyage bas carbone) pour décarboniser les transports, et notamment via la réduction du coût du train.
Tu l'auras compris, réduire le prix du train n'est pas si évident. Quelques pistes : une véritable volonté politique - pour réformer la fiscalité et investir dans l’entretien et la modernisation du réseau - un meilleur encadrement de la tarification pour éviter les écarts de prix qui pénalisent les voyageurs de dernière minute, un rééquilibrage entre le transport aérien et ferroviaire semble pour rendre le train plus attractif... Quoi qu'il en soit, l’avenir du transport ferroviaire dépendra des choix stratégiques faits aujourd’hui et de la capacité des pouvoirs publics à concilier rentabilité et accessibilité !
Pour suivre toutes les actualités du Réseau Action Climat, tu peux suivre l'ONG sur les réseaux sociaux (et notamment sur instagram). L'ONG va notamment sortir bientôt deux rapports, sur les voyages en train de nuit et sur la structure d'un billet de train (VS un billet d'avion).
Pour ne rien manquer de nos prochains décryptages et recevoir tous les bons plans voyage bas carbone, n’hésite pas à t’abonner à notre newsletter (un jeudi sur deux dans ta boîte mail) :