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Depuis les années 2000, le trafic ferroviaire européen a connu une croissance notable. Pourtant, malgré ces progrès, le réseau ferroviaire européen est confronté à des défis techniques majeurs qui entravent son harmonisation complète. On t'explique tout.
Pour les trains électriques, l’électricité est captée tout au long de la voie via la caténaire, le système de suspension des fils conducteurs présent au-dessus de la voie, destiné à l’alimentation des trains. L'alimentation électrique des trains varie considérablement d'un pays à l'autre en Europe, ce qui complique l'interopérabilité.
Par exemple :
Ces différences sont issues des choix technologiques faits après la Seconde Guerre mondiale, à une époque où les technologies de transformation du courant étaient moins avancées. Par ailleurs, la priorité était donnée aux voyages intérieurs. Depuis, le contexte géopolitique en Europe est devenu beaucoup plus favorable aux voyages transfrontaliers. Bien que l’introduction de la norme européenne 2023/1693 impose pour toute nouvelle ligne ferroviaire construite en Europe d’être électrifiée en 25 000 volts, il faudra encore plusieurs décennies pour avoir un réseau européen avec une tension d’alimentation unique.
La signalisation constitue un autre obstacle majeur. Chaque pays européen a développé son propre système embarqué pour afficher les informations de signalisation, comme la vitesse à laquelle le train peut rouler, ou encore s’il doit s’arrêter. Ainsi, un train traversant plusieurs frontières doit être équipé de systèmes multiples, et les conducteurs et conductrices doivent être formé(e)s pour chacun d'eux. En effet, ils doivent comprendre sans ambiguïté la signalisation en temps normal et également gérer des situations anormales, comme la panne d’un signal.
On voit bien sur la carte Openrailwaymap le nombre de systèmes différents à l’échelle européenne :
Beaucoup de systèmes de signalisation en Europe - Source : openrailwaymap.org
À titre d’exemple, les rames de l’actuelle Eurostar (ex Thalys) ont été parmi les plus coûteuses pour l’entreprise lors de l’achat à Alstom : il a notamment fallu faire face aux tensions des caténaires des pays où elles étaient prévues de circuler. Mais il a également fallu intégrer l’équipement nécessaire pour tous les systèmes de signalisation concernés, jusqu’à 7 pour certaines rames (2 pour la France, 2 pour la Belgique, 1 pour les Pays Bas et 2 pour l’Allemagne), différents pour certaines rames !
Là encore, au niveau européen, le système dénommé European Train Control System (ETCS) a été introduit pour standardiser ces dispositifs, de sorte qu’il y ait une signalisation unique en Europe, compréhensible par tous les conducteurs.
Mais sa mise en œuvre complète prendra également plusieurs décennies. Il faut que chaque pays adopte ce système, l’installe sur son réseau et effectue les travaux nécessaires sur son matériel roulant pour qu’il soit compatible. Ces investissements se chiffrent en milliards d’euros et ne porteront leur fruit que d’ici quelques dizaines d’années.Les gouvernements doivent donc chacun avoir une volonté nationale claire pour implémenter ce système, comme c’est déjà le cas en Suisse où l’ETCS est installé sur 100 % du réseau à écartement normal. La Belgique, via son gestionnaire de réseau Infrabel, a elle aussi déjà plus de 50% de son réseau équipé avec ce système.
On n’y pense pas souvent mais au sein de l’Europe, les écartements entre les rails ne sont parfois pas les mêmes ! Si la Suisse est l’exemple le plus marquant avec ses nombreux kilomètres à voies métriques, c’est-à-dire un écartement entre les rails inférieurs à 1 mètre, l’Espagne a aussi sa particularité. Du fait de son passé ferroviaire déconnecté de l’influence britannique, cette dernière a développé son réseau ferroviaire sur un écartement de 1,668 mètres ! Les trains reliant la France à l’Espagne (comme le TGV Paris-Barcelone ou encore les AVE Marseille-Madrid et Lyon-Barcelone) circulent sur des voies nouvellement construites avec l’écartement standard de 1,435 mètres. C’est d’ailleurs cette même directive européenne 2016/797 qui impose à toute nouvelle ligne construite dans l’Union européenne que les rails soient écartés de cette longueur. L'objectif : faciliter l’interopérabilité, notamment avec la France dont le réseau s’est développé sur cet écartement.
Pour qu’une locomotive ou un wagon puisse circuler dans plusieurs pays européens, ils doivent chacun obtenir autant d’autorisations que de pays qu’ils doivent traverser. Par exemple, pour les trains de nuit NightJet reliant Paris à Vienne desservant des gares en France, en Allemagne et en Autriche, les wagons circulant sur ce train doivent disposer de 3 autorisations distinctes. Depuis la mise en place du quatrième paquet ferroviaire en 2020, l'Agence européenne pour les chemins de fer (en anglais, European Railway Agency) est devenue l'autorité unique chargée de délivrer ces certifications.
Les étapes clés incluent :
Ce processus est exigeant et long, et fait parfois apparaître des défauts sur le matériel roulant qu’il est nécessaire de corriger pour pouvoir certifier ce dernier. Dans le secteur ferroviaire, les temps de conception sont fréquemment assez étendus, en partie à cause de cette procédure. C’est en partie à cause de cela que le démarrage de la liaison Bruxelles-Prague par European Sleeper a été reporté à plusieurs reprises. La startup a eu du mal à trouver du matériel certifié pour traverser les 4 pays ou le train s’arrête : Belgique, Pays Bas, Allemagne et République Tchèque.
Qui dit plus de trains dit plus de personnel pour pouvoir te transporter ! Et cela ne se limite pas qu’aux contrôleurs et contrôleuses. C’est toute une chaîne logistique avec de nombreux acteurs qui doivent être coordonnés et réglés comme du papier à musique pour que ton train puisse être à l’heure.
Cela inclut notamment les conducteurs et conductrices qui, avant de conduire ton train, doivent passer une série de tests rigoureux : d’abord un examen des connaissances générales sur le monde ferroviaire, puis une phase d'acquisition des connaissances nécessaires à la conduite d'un type de train sur certaines lignes. Pourquoi autant de spécificités ? Parce que le conducteur ou la conductrice est responsable de la sécurité de son train avec potentiellement des milliers de voyageurs à une vitesse pouvant atteindre plus de 300 km/h ! Autant dire qu’il ou elle ne peut pas se permettre de douter un instant de sa position, ni de la vitesse à laquelle rouler, ou encore du moment où freiner. Une formation réputée pour être exigeante... à juste titre.
Quel rapport avec toi ? Si par exemple - et on ne te le souhaite évidemment pas - un train percute une personne ou un véhicule, le conducteur ou la conductrice doit d’abord réagir en appuyant sur le frein d’urgence. Il ou elle doit ensuite faire des procédures rigoureuses pour avertir le centre de circulations du problème afin d’éviter d’autres accidents, et enfin s’assurer que son propre train est en sécurité. Ajoute à cela l’état de choc qui peut rendre la situation très stressante. Évidemment, le conducteur ou la conductrice qui a « subi » l’accident va être « relevé(e) », c’est-à-dire remplacé(e) par un ou une autre professionnel(le).
Mais ce ou cette dernière doit également connaître le matériel utilisé ainsi que la ligne sur laquelle le trajet va continuer. De par le nombre croissant de trains en circulation et les économies que doivent réaliser les entreprises ferroviaires, il n'est pas forcément possible directement après l'accident d'avoir un conducteur ou une conductrice en réserve, répondant à tous ces critères. C’est pour cette raison que parfois, ton train peut être rendu terminus avant même d’avoir atteint sa destination finale.
Autre point important : un conducteur ou une conductrice qui assure une relève dans cette situation n’a pas de journée programmée d’avance. On parle d’agent de réserve : dès qu’il ou elle rentre en salle d’attente pour être prêt(e) à intervenir, cela est compté comme du temps de travail. Et si au moment de terminer l’acheminement du train il ou elle dépasse ses heures de travail, alors quelqu'un d'autre doit venir le ou la remplacer… Bref, tu l’as saisi, c’est un vrai casse-tête organisationnel que doit gérer l’entreprise ferroviaire, ce problème ne se résolvant pas en un claquement de doigt !
Et pour ne rien arranger, il faut également une certification supplémentaire pour pouvoir conduire sur une ligne pendant la nuit. C’est, entre autres, ce qui fait que le nombre de conducteurs et conductrices aptes à conduire les trains de nuit est faible. Et qui dit peu de conducteurs dit peu de trains roulants, donc moins de voyages bas carbone !
Si les travaux ont le don de t’exaspérer, sachent qu’ils sont plus que nécessaires ! En effet, pour que ton train puisse circuler en toute sécurité, le gestionnaire de réseau est obligé d’effectuer des travaux réguliers d’entretien afin de s’assurer qu’il n’y ait pas de problèmes sur la voie. En Europe, le réseau est plutôt vieillissant. Cela impose d’effectuer des travaux de manière fréquente, et parfois sur de longues durées à des endroits stratégiques, pénalisant ainsi la circulation des trains.
Si les trains ne peuvent pas circuler à cet endroit voire ne pas s’arrêter à certaines gares, il faut trouver un itinéraire alternatif ! Si certains pays comme l’Allemagne possède un réseau dense permettant de trouver cet itinéraire alternatif sans difficultés majeures, ce n’est pas forcément le cas de tous et il faut parfois faire des détours de plusieurs centaines de kilomètres dans ces derniers avant de retrouver son itinéraire initial. Avant de donner le nouvel itinéraire à suivre, le gestionnaire d’infrastructure ferroviaire doit s’assurer que le passage par cette ligne ne gênera pas d’autres trains ou, le cas échéant, que la gêne soit limitée.
Depuis l’ouverture à la concurrence en 2020, on observe dans les pays européens une indépendance des gestionnaires de réseau et un détachement avec l’opérateur national historique. De fait, la planification des travaux tend à moins intégrer les besoins des entreprises ferroviaires qui cherchent à transporter le plus de voyageurs. Et parfois, le gestionnaire de réseau annonce des travaux sur une ligne importante à intervalle régulier, voire ne communique que quelques éléments de son calendrier prévisionnel de travaux. Logiquement, les entreprises ferroviaires sont agacés. Récemment, les chemins de fers fédéraux autrichiens (Österreisische BundesBahn, ÖBB), ont participé à la relance du train de nuit en Europe. Cet opérateur national a reporté son projet de train de nuit Zürich-Barcelone, qui devait desservir plusieurs gares dans le sud de la France. Même constat concernant la suppression du train de nuit Paris-Berlin : en raison de nombreux travaux entrepris notamment en Allemagne, les itinéraires de détournement sur le réseau de ce dernier sont déjà au maximum de leur capacité et ne peuvent donc pas recevoir davantage de train.
En conclusion, bien que l'Europe ait fait des avancées significatives dans le domaine ferroviaire depuis les années 2000, il reste encore beaucoup de modifications à entreprendre pour atteindre une véritable harmonisation technique. Les différences de tension électrique, la complexité des systèmes de signalisation et les procédures d'autorisation sont autant de défis qui nécessitent des investissements massifs et une coopération accrue entre les États membres. Le chemin vers un réseau ferroviaire pleinement intégré est long mais essentiel pour répondre aux besoins croissants de mobilité durable en Europe.
On a ici essayé de te présenter les principaux facteurs actuels qui entrent en jeu dans le voyage en train en Europe, mais sache qu’il y en a encore bien, tant techniques qu'humains !