Photo : Rapport "Trains de nuit, Le réveil a sonné", 2025 - © Réseau Action Climat
Moins chers (56 € contre 84 € pour un Paris-Toulouse, et l'économie d'une nuit d'hôtel), plus écologiques (moins d'émissions que l'avion ou la voiture) et essentiels pour desservir certains territoires… Après une quasi disparition des rails jusqu'en 2021, les trains de nuit ont de nouveau le vent en poupe. Preuve en est la fréquentation record de plus d’un million de passagers en France en 2024. Pourtant, avec moins de 130 voitures-couchettes en circulation, l'offre reste largement insuffisante pour répondre au boom de la demande.
Alors comment palier la saturation des lignes ? Et comment faire changer d’échelle le train de nuit ? Dans son nouveau rapport "Trains de nuit, Le réveil a sonné" sur la fréquentation des trains de nuit en France, le Réseau Action Climat dresse un état des lieux sans détour et appelle à passer à la vitesse supérieure. Car derrière ce retour sur les rails se cachent des limites structurelles qu’il est urgent de dépasser. Et nous sommes justement à un moment clé pour l'avenir des transports en France, avec la conférence sur le financement des mobilités qui se joue en ce moment-même. Décryptage.
En 2024, le train de nuit a séduit plus d’un million de passagers en France. C’est plus du double par rapport à 2019, et +26 % en un an. Des lignes comme Paris-Toulouse, Paris-Nice ou Paris-Cerbère sont presque saturées. Pendant l’été, le Paris-Nice était ainsi complet plus de 2 jours sur 3, laissant de nombreux voyageurs à quai.
À elle-seule, la ligne Paris-Toulouse a ainsi attiré près de 100 000 passagers supplémentaires entre 2019 et 2024, et séduit de plus en plus de professionnels (30% des passagers en 2023) désireux d’arriver tôt à Paris ou Toulouse pour le travail.
Il faut dire que le train de nuit coche toutes les cases.
Il est économique. Le train de nuit est généralement moins cher que son équivalent en TGV (56 € contre 84 € pour un Paris-Toulouse, par exemple), il permet d’éviter une nuit d’hôtel.
Il offre une alternative écologique à l’avion. Sur les 10 principales liaisons aériennes vers l’Europe, au moins 6 pourraient se faire en train de nuit (Paris-Madrid, Paris-Barcelone, Paris-Milan, Paris-Rome, Nice-Londres, Paris-Venise).
Il joue un rôle clé pour l’aménagement du territoire. Non seulement il connecte les métropoles éloignées sans avoir à passer par Paris (par exemple, la ligne Bordeaux-Lyon), mais il joue également un rôle-clé pour les zones rurales enclavées et les villes moyennes mal desservies par le TGV ou l’avion : Aurillac, Briançon, Latour-de-Carol… C’est donc un outil de cohésion territoriale et de justice sociale, avec des billets souvent moins chers que leurs équivalents de jour.
Pourtant, la relance est incomplète : les liaisons vers l'Europe sont quasi inexistantes, et tout est centralisé à Paris. Sur les deux seules liaisons internationales (Paris-Vienne et Paris-Berlin en train de nuit trois fois par semaine), la fréquentation est pourtant au rendez-vous, malgré de nombreux retards et une suppression de la circulation pendant trois mois en 2024.
Quant aux liaisons internes, les lignes actuelles sont proches de la saturation, avec notamment plus de 80% d’occupation sur les deux principales liaisons (Paris-Toulouse et Paris-Nice). Résultats ? Des trains pleins, des billets introuvables, et de nombreux voyageurs sont contraints de se tourner vers la voiture ou l’avion - souvent plus polluant - ou d’annuler leur voyage, faute de places disponibles.
En cause, pas assez de voitures-couchettes pour répondre à la demande. Le parc actuel plafonne à 129 voitures, un nombre bien en-deçà des besoins réels. Aujourd’hui, un appel d’offres prévoit l’achat de 180 voitures supplémentaires à partir de 2030. Mais, d’après le Réseau Action Climat, cela ne sera pas suffisant. Certaines lignes, comme Paris-Barcelone ou Bordeaux-Nice, ne pourront d’ailleurs être ouvertes qu’avec un parc d’au moins 300 voitures !
Un train de nuit sur six est annulé à cause de travaux. Sur certaines lignes, c’est jusqu’à un sur trois. Pourtant, il est possible de faire circuler les trains malgré les chantiers, en aménageant des itinéraires alternatifs, en utilisant des locomotives bi-modes, ou encore en mieux planifiant les plages de travaux.
Pour désaturer les lignes existantes et en ouvrir de nouvelles, il semble donc indispensable de commander de nouvelles voitures-couchettes, bien au-delà des 129 voitures actuelles.
Si l’on passe à la vitesse supérieure, le train de nuit pourrait connaître un développement spectaculaire. Au-delà de l’expansion à 180 voitures-couchettes (la proposition de l’appel d’offres lancé par l’État, qui permettrait seulement d’optimiser les lignes actuelles), le rapport explore deux scénarios d’expansion d’ici 2035 :
Avec 340 voitures-couchettes (soit la fourchette haute de l’appel d’offre lancé par l’Etat pour renouveler les trains de nuit), il serait possible de réouvrir des lignes internationales comme Paris-Barcelone et des lignes transversales (c'est-à-dire sans passer par Paris) comme Nice-Strasbourg.
Ce scénario permettrait de transporter chaque année 3,6 millions de voyageurs et d’économiser 450 000 tonnes équivalent CO2 par an !
La modélisation des dessertes de nuit envisagées pour un parc de +300 voitures - © Réseau Action Climat
Avec 600 voitures-couchettes (soit le volume du parc suggéré par le rapport de référence du ministère des Transports sur les trains de nuit), on pourrait créer un véritable réseau ferroviaire européen de nuit !
Cela permettrait de desservir les capitales européennes (Paris-Rome, Paris-Madrid...), mais aussi des itinéraires mal couverts aujourd’hui sans passer par Paris, comme Strasbourg-Perpignan, Dijon-Rome, Lyon-Barcelone ou encore Lyon-Perpignan !
La modélisation des lignes nationales envisagées pour un parc de +600 voitures - © Réseau Action Climat
La modélisation des lignes internationales envisagées pour un parc de +600 voitures - © Réseau Action Climat
Au total, ce scénario permettrait de transporter chaque année 5,9 millions de voyageurs d’économiser 850 000 tonnes équivalent CO2 par an !
Et d’ici 2040 ?
Un troisième palier de 1200 voitures ouvrirait la voie à des lignes internationales sans passer par Paris (comme Lyon-Rome, Nantes-Barcelone, ou encore Marseille-Londres), et pourrait transporter 12 millions de passagers chaque année !
Au total, ce réseau permettrait d’éviter près d’un million de tonnes de CO₂ par an. Une contribution majeure à la décarbonation du secteur des transports, dans un contexte où l’aviation reste le mode de transport le plus émetteur par passager-kilomètre.
La modélisation des lignes nationales envisagées pour un parc de +1200 voitures - © Réseau Action Climat
La modélisation des lignes internationales envisagées pour un parc de +1200 voitures - © Réseau Action Climat
D'un point de vue économique, le train de nuit n’est pas une perte. Bien au contraire. Un réseau plus dense permettrait de réduire les coûts unitaires grâce à la mutualisation (maintenance, communication, commercialisation…), sans compter les bénéfices sociaux et environnementaux majeurs !
Avec un parc modernisé et un deuxième technicentre, la France pourrait devenir un pivot du train de nuit en Europe, notamment via des lignes comme Paris-Barcelone, Paris-Vienne, Paris-Rome, Nantes-Milan, Nantes-Barcelone, Lille-Nice, Lyon-Naples, ou encore Marseille-Londres.
Quid des voyageurs ? Selon un sondage du collectif Europe on Rails, 72 % des citoyens seraient prêts à prendre le train de nuit plutôt que l’avion si les prix des billets était acceptable et la liaison disponible !
Pour un état des lieux des trains de nuit en Europe : notre guide ultime du voyage en train de nuit.
Le rapport appelle également l’État à jouer un rôle stratégique :
En 2020, la volonté politique a été au rendez-vous quand il s’est agi d’inverser la tendance et de relancer des lignes de nuit. Aujourd'hui, à nouveau, elle est plus indispensable que jamais pour changer d’échelle !
En ce sens, la conférence de financement des infrastructures de transports, (lancée le 5 mai dernier) est une opportunité majeure pour sécuriser les financements, construire un nouveau centre de maintenance, et porter le parc de nuit à 340 voitures au plus vite.
Tu l’auras compris, le train de nuit est une solution d’avenir à tous les niveaux, et incarne une mobilité douce, pratique et bas carbone, adaptée à un monde en transition.
Bas carbone, inclusif, économique, pratique... Au-delà de ces critères, il est aussi porteur d’un imaginaire fort : voyager lentement, redécouvrir le territoire, prendre le temps de traverser l’Europe sans quitter le sol. En France comme en Europe, le train de nuit est en train de prouver qu’il a toute sa place dans le paysage des mobilités durables.
Mais derrière l’engouement, le rapport du Réseau Action Climat dévoile une réalité plus nuancée : la demande explose, mais l’offre reste figée, freinée par un manque de matériel, des travaux mal coordonnés et une vision encore trop timide de l’avenir. Pour faire du train de nuit une vraie alternative au tout-avion, il est temps de changer d’échelle. Et pour franchir ce cap, il faut investir dans une vision long terme : matériel, infrastructure, coordination, financement. Le potentiel est là. Les voyageurs aussi. Il ne manque plus que la volonté politique. “Le réveil a sonné” : à nous (et nos décideurs politiques) de monter dans le train !
Pour en savoir plus, rendez-vous sur le rapport complet ou la synthèse du rapport du Réseau Action Climat !
Et pour demander au gouvernement 600 voitures-couchettes supplémentaires pour relancer 30 lignes de nuit, tu peux signer cette pétition !