Embarquer à Paris le soir pour se réveiller à Berlin ou Vienne au petit matin… Ça semblait presque trop beau pour être vrai. À peine lancés, et malgré leur succès de fréquentation, les trains de nuit internationaux Paris-Berlin et Paris-Vienne sont déjà menacés. Lancées respectivement en décembre 2023 et décembre 2021, les deux lignes opérées par ÖBB et SNCF Voyageurs pourraient disparaître ou voir leur fonctionnement réduit dès décembre 2025. En cause ? L’État (qui menace de couper la subvention ayant permis le lancement des lignes), SNCF Voyageurs (qui « semble ne jamais avoir cru dans le potentiel des lignes de nuit internationales », selon le collectif Oui au train de nuit ), et un cadre européen qui ne facilite rien.
Alors, clap de fin sur ces symboles de la relance ferroviaire européenne ? Pas forcément. Pour plusieurs collectifs citoyens, l’enjeu est clair : le Paris-Berlin et le Paris-Vienne ne doivent pas rejoindre la longue liste des trains de nuit sacrifiés. On t’explique tout.
À peine deux et quatre ans après leur lancement, le Paris-Berlin et le Paris-Vienne connaissent une fréquentation très encourageante : les trains sont bien remplis, preuve que les voyageurs européens sont au rendez-vous. Mais l’offre reste marginale : trois allers-retours par semaine seulement. L’objectif initial était de proposer une desserte quotidienne. Pourtant, le consortium des entreprises ferroviaires historiques, représenté par SNCF Voyageurs sur le tronçon français, n’a toujours pas trouvé de solution pour rendre le train quotidien. Résultat : une demande qui existe, mais un service qui reste insuffisant.
Cette sous-capacité entretient un cercle vicieux : trop peu de trains, donc moins de visibilité, moins de recettes, et in fine une rentabilité fragilisée.
Autre paradoxe : si SNCF Voyageurs opère ces trains de nuit sur le territoire français, elle ne les met pas en avant, puisqu’il est impossible d’acheter un billet pour le train de nuit Paris–Berlin sur l’application SNCF Connect. Résultat ? Beaucoup de voyageurs découvrent l’existence de cette liaison… après avoir pris leur billet d'avion.
Pas de billets sur SNCF Connect, aucune mise en avant commerciale… « Comment imaginer une vraie relance des trains de nuit en France si l’opérateur historique ne les rend pas visibles », s’interroge le collectif Oui au train de nuit ?
Jusqu’ici, l’État subventionne le lancement de ces lignes de nuit, considérées comme stratégiques pour la décarbonation du transport. Mais, dénonçant un manque d’engagement de l’opérateur français, le gouvernement menace désormais de retirer cette aide dès décembre 2025. Une décision qui irait à rebours de la demande grandissante pour les trains de nuit en France.
Derrière la responsabilité française, il y a aussi l’Europe. Aujourd’hui, subventionner un train de nuit international reste un parcours du combattant : les règles européennes sur les aides d’État sont si contraignantes qu’elles paralysent les projets. C’est l’une des raisons pour lesquelles, aujourd’hui, il existe si peu de liaisons transfrontalières régulières.
Tant que l’Europe n’assouplira pas ce cadre, les États auront donc les mains liées pour soutenir financièrement ce type de services.
Pendant ce temps, l’avion continue de bénéficier de niches fiscales massives (pas de taxe sur le kérosène, TVA réduite…) : l’équivalent de 30 à 40 € de subvention cachée par billet.
Autrement dit : « on subventionne massivement le mode le plus polluant, tout en freinant l’aide au transport le plus vertueux », souligne le collectif Oui au train de nuit.
Ce scénario rappelle de tristes souvenirs. En 2015, les trains de nuit nationaux français avaient été présentés comme déficitaires et peu fréquentés… avant d’être supprimés avec l’aval de l’État.
Dix ans plus tard, le même schéma se répète : invisibilisation, sous-capacité, menace de retrait de subventions. Mais cette fois, il s’agit des deux seules liaisons européennes de nuit au départ de la France.
Pour le collectif Oui au train de nuit, la balle est d’abord dans le camp de SNCF Voyageurs. Les rames sont fournies par la compagnie autrichienne ÖBB, or il s’agit du principal poste de dépense d’un train de nuit, ce qui limite le coût pour SNCF Voyageurs. Ce que demande le collectif ? Déployer l’offre initialement promise : deux trains de nuit quotidiens, un vers Vienne et un vers Berlin.
Cela permettrait d’augmenter la capacité, d’améliorer la fiabilité et de tendre vers l’équilibre économique. Autrement dit, « c’est une opportunité unique pour le groupe SNCF de montrer qu’il croit à l’avenir des trains de nuit internationaux », souligne Nicolas Forien, membre du collectif.
Le deuxième levier est politique. L’État menace aujourd’hui de supprimer la subvention d’aide au démarrage. Pour le collectif Oui au train de nuit, il faudrait au contraire la renégocier, en échange d’une augmentation du nombre de places.
Plus largement, il s’agit de rompre avec la stratégie du « laisser-faire » qui avait conduit à la disparition des trains de nuit nationaux il y a dix ans, et d’engager une politique déterminée pour soutenir la relance des trains de nuit internationaux.
Le troisième acteur incontournable, c’est l’Europe. Aujourd’hui, les aides d’État aux trains internationaux sont juridiquement floues, et cela freine toute initiative. Le collectif Oui au train de nuit appelle l’UE à prendre ses responsabilités : autoriser explicitement les subventions aux trains de nuit internationaux, au moins tant que l’aviation bénéficie d’un régime fiscal de faveur, avec notamment l’absence de toute taxe kérosène sur les vols européens.
« Impossible de parler de concurrence équilibrée quand l’aviation reste défiscalisée. » - Nicolas Forien, du collectif Oui au train de nuit
Mais le salut ne viendra pas seulement d’en haut. La mobilisation citoyenne est déjà massive (la première pétition Oui au train de nuit a dépassé les 200 000 signatures). Les voyageurs eux-mêmes disent haut et fort qu’ils veulent pouvoir traverser l’Europe autrement qu’en avion.
Cette pression est essentielle. Car sans elle, l’histoire risque de bégayer une fois de plus. Les Nightjet Paris–Berlin et Paris–Vienne ne doivent pas être vus comme des reliques, mais comme la première étape d’un réseau européen plus vaste : vers Barcelone, Milan, Copenhague, Malmö, Madrid, Venise ou encore Rome.
Alors, comment agir ? Si l’on ne veut pas regarder s’éteindre, une fois de plus, l’un des plus beaux symboles du voyage bas carbone en Europe… faisons-le savoir, en signant cette pétition, et en répondant à l'appel à mobilisation ce vendredi 26 septembre 2025 à Paris - Gare de l’Est à 18h (plus d’infos sur les comptes Facebook et Instagram du collectif).
Et pour comprendre où en est la France sur ses propres lignes de nuit, on t’explique tout dans cet article sur l’état des lieux du Réseau Action Climat sur les trains de nuit en France.
Issue du monde de la communication et des médias, Sophie est Responsable éditoriale chez HOURRAIL ! depuis août 2024. Elle est notamment derrière le contenu éditorial du site ainsi que La Locomissive (de l'inspiration voyage bas carbone et des bons plans, un jeudi sur deux, gratuitement dans ta boîte mail !).
Convaincue que les changements d’habitude passent par la transformation de nos imaginaires, elle s’attache à montrer qu’il est possible de voyager autrement, de manière plus consciente, plus lente et plus joyeuse. Son objectif : rendre le slow travel accessible à toutes et tous, à travers des astuces, des décryptages et surtout, de nouveaux récits.